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Mardi, 27 Mai 2008 12:30

Vers un quota de CO2 pour chaque famille?

GRANDE-BRETAGNE. Des parlementaires soutiennent la création d'un quota individuel. Un projet difficile à mettre en place.

Décembre 2022. Alain se frotte les mains: grâce à l'excellente isolation qu'il a fait installer à ses fenêtres, il n'a dépensé que les deux tiers de son quota annuel de CO2. Sa carte de crédits de carbone reçoit donc automatiquement une somme supplémentaire. En revanche, son voisin maugrée. Sans isolation, il a désormais dépassé son allocation annuelle de CO2. En allant faire son plein d'essence, il tend deux cartes: l'une bancaire et l'autre de crédits de carbone, et il est forcé de payer son carburant nettement plus cher qu'Alain.

Scénario futuriste inimaginable? Peut-être plus pour longtemps. Lentement, l'idée de quotas individuels d'émissions de CO2 fait son chemin. Hier, le comité parlementaire britannique d'audit sur l'environnement a lancé un pavé dans la mare avec un nouveau rapport: «le commerce personnel de carbone a le potentiel de réduire plus efficacement les émissions de carbone que les impôts sur l'environnement

Le comité propose d'accorder à chaque ménage britannique un quota annuel d'émissions de CO2. Ensuite, chacun peut le dépenser comme bon lui semble, et les ménages les plus vertueux pourront vendre leur part inutilisée. «Les gens qui choisissent une vie à faible carbone, par exemple en n'allant pas trois fois par an en vacances dans les Caraïbes, pourront gagner de l'argent», explique Tim Yeo, le président du comité.

L'idée, selon lui, est nettement plus efficace que les impôts sur l'environnement, parce qu'elle tend une carotte pour réduire les émissions et non pas simplement un bâton contre les pollueurs. Elle est également plus équitable: «Le problème des impôts verts est qu'ils pèsent particulièrement sur les plus précaires, explique Tim Yeo. Avec ce système de quotas, les ménages pauvres sont récompensés de faire des choix positifs pour l'environnement.»

Voilà pour la théorie. Mais le gouvernement britannique réplique que le système est beaucoup plus compliqué qu'il n'y paraît. «C'est une idée intéressante, mais la mettre en place rencontre de sérieuses difficultés pratiques», rétorque Hilary Benn, le ministre de l'environnement.

Concrètement, il faut fixer le quota de chaque ménage. En particulier, comment faut-il compter les enfants? Un nouveau-né nécessite-t-il moins de CO2 qu'un adulte? Et une personne handicapée doit-elle avoir un quota spécial? «Et les habitants des zones rurales, qui doivent prendre leur voiture pour se déplacer: doivent-ils être comparés à ceux des zones urbaines qui prennent les transports en commun?» s'interroge Hilary Benn.

Tim Yeo reconnaît volontiers que ces «détails» sont encore à résoudre. Mais il estime que le système est prometteur et que des études approfondies sont nécessaires pour tenter d'y répondre.

Mais même en admettant que la distribution des quotas soit résolue, il reste de nombreux obstacles. En particulier, comment calculer les émissions réalisées réellement par chaque ménage? Sur ce point, la réponse du comité parlementaire est claire: pas question de comptabiliser de façon exhaustive toutes les émissions. Il faut se concentrer sur quelques mesures simples: consommation d'électricité, de gaz, achat d'essence, voyages en avion et utilisation des transports en commun.

Pourtant, cette liste réduite reste difficile à mesurer, particulièrement les transports en commun: un même ticket pour signifier un trajet en bus ou en métro, sur deux arrêts ou sur dix.

Enfin, il reste un dernier obstacle majeur: quel sera le prix du CO2? S'il est trop faible, l'incitation à réduire ses émissions sera très limitée. Sur ce point, les estimations du gouvernement britannique sont décourageantes. La mise en place du système de quotas personnels coûterait entre 2 et 4 milliards de francs par an à gérer, soit environ 104 francs par ménage. Mais les économies réalisées par chaque ménage s'élèveraient à seulement 13,80 francs, en se basant sur le prix de la tonne de CO2 projeté pour 2013. «Cela coûterait quinze fois plus que cela rapporterait, et dans le scénario le plus optimiste, les coûts sont encore 4,5 fois supérieurs», écrit le Ministère de l'environnement, dans un rapport publié le mois dernier. Le gouvernement britannique a donc décidé de suspendre toute recherche dans ce sens.

Le comité parlementaire le regrette. Selon lui, le système de quotas est trop prometteur pour être écarté d'emblée. Mais même lui reconnaît qu'il faudra encore d'importantes recherches avant que les cartes de crédits de CO2 n'entrent en vigueur.

Par Eric Albert, Londres Mardi 27 mai 2008 - Le Temps